[CamerExcellence] – Dr Teguo Daniel Djoyum est un leader camerounais éminent en santé publique. Le 28 mai 2025, il entre dans l’histoire en étant le premier Camerounais à avoir obtenu un doctorat en santé publique (DrPH) de la prestigieuse Harvard T.H. Chan School of Public Health située à Boston, dans le Massachusetts, sur le campus Longwood de l’université Harvard.
La Harvard T.H. Chan School of Public Health est la première école de santé publique des États-Unis. Ses origines remontent à la fondation en 1913 de l’École des agents de santé Harvard-MIT, premier programme de formation professionnelle en santé publique aux États-Unis. En 1922, l’école s’est séparée du MIT et, en 1946, elle est devenue un établissement indépendant délivrant des diplômes au sein de l’Université Harvard.
En 2014, l’École a été rebaptisée grâce à un don exceptionnel de l’ancien élève Gerald L. Chan, SM ’75, SD ’79, de sa famille et de la fondation Morningside, en mémoire de son père, M. T.H. Chan. Ce don sans restriction de 350 millions de dollars au fonds de dotation de l’École a permis de soutenir la recherche, l’éducation, l’aide financière et d’autres priorités.
Neurophysiologiste de formation et stratège en santé publique, c’est dans cette école que le Dr Djoyum a consacré la dernière décennie à bâtir des passerelles entre les communautés, les systèmes de santé et les institutions mondiales pour améliorer l’accès aux soins en santé cérébrale, en particulier dans les zones sous-desservies d’Afrique et de la diaspora.
Ses travaux vivement salués à la Harvard T.H. Chan School of Public Health apporteront sans doute un plus dans le traitement et la prise en charge de l’épilepsie en Afrique. Il a en effet mené des recherches pionnières sur l’impact de la spiritualité dans la prise en charge de l’épilepsie à Accra, au Ghana.
Dans cette interview sur CamerExcellence, il explique comment la spiritualité africaine et la médecine moderne peuvent cohabiter pour soigner l’épilepsie. Il présente par ailleurs sa vision et ses projets pour le Cameroun.
CamerExcellence : Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à l’intersection entre spiritualité et épilepsie au Ghana ?
Dr Teguo Daniel Djoyum : Pendant un stage académique au Ghana, j’ai posé une question simple à un patient : « Est-ce que l’épilepsie est une maladie spirituelle ? » Sa réponse, pleine de sincérité, m’a incité à regarder au-delà des protocoles cliniques classiques. C’est à ce moment-là que j’ai compris que pour vraiment répondre aux besoins des patients, il fallait explorer les perceptions locales de la maladie – et cela m’a naturellement conduit à intégrer la dimension spirituelle dans mon travail sur l’épilepsie.

CamerExcellence : Comment la spiritualité peut-elle être une forme d’innovation dans la gestion de l’épilepsie au Ghana ?
Dr Teguo Daniel Djoyum : Nous avons tendance à négliger des groupes puissants d’influence comme les leaders religieux. Pourtant, ces acteurs sont en contact direct avec les patients bien avant le système de santé formel. Intégrer leur rôle dans la stratégie de santé cérébrale, c’est une innovation. Les défis sont multiples : stigmatisation, accès limité aux diagnostics, manque de médicaments, etc. Mais, la spiritualité peut jouer un rôle de soutien, de prévention et même de référencement vers les soins cliniques.
CamerExcellence : Quelles sont les dynamiques actuelles entre cliniciens et leaders spirituels au Ghana ?
Dr Teguo Daniel Djoyum : Ce sont deux mondes qui coexistent, mais se regardent parfois avec méfiance. Il y a une forme de compétition silencieuse, renforcée par le prestige social accordé à chacun. Les croyances peuvent aussi créer des blocages : certains leaders spirituels pensent pouvoir “guérir” l’épilepsie uniquement par la prière, tandis que certains cliniciens rejettent toute approche non scientifique. Il est urgent de créer un langage commun et des ponts de confiance entre eux.
CamerExcellence : Quels bénéfices concrets peut-on attendre d’une collaboration entre clinique et spiritualité ?
Dr Teguo Daniel Djoyum : Les leaders spirituels peuvent offrir un soutien moral, créer un espace de réconfort, accompagner les familles et même réduire la stigmatisation dans la communauté. Par exemple, certaines églises acceptent désormais de parler ouvertement de l’épilepsie et d’encourager les patients à chercher un diagnostic. Ces approches ne remplacent pas les soins cliniques, mais les complètent puissamment.
CamerExcellence : Y a-t-il un moment marquant de terrain qui illustre bien ta recherche ?
Dr Teguo Daniel Djoyum : J’ai compris très tôt que, en tant qu’Africains, notre spiritualité est profondément ancrée dans nos vies. Lors d’un entretien, une mère m’a dit qu’elle avait d’abord consulté trois prophètes avant d’aller à l’hôpital pour son enfant épileptique. Ce n’est pas un refus du soin moderne. C’est un parcours de soins parallèle. Reconnaître cette réalité est essentiel pour construire des réponses adaptées.
CamerExcellence : Quelles recommandations donnerais-tu aux décideurs et professionnels ?
Dr Teguo Daniel Djoyum : D’abord, ouvrir des espaces de dialogue spirituel dans les hôpitaux, pas pour remplacer le soin médical, mais pour accompagner. Ensuite, former les leaders spirituels à reconnaître les signes cliniques de l’épilepsie et à référer les patients au bon moment. L’idéal serait un système bidirectionnel : le clinicien oriente vers un soutien moral et le leader spirituel vers un diagnostic.
CamerExcellence : Quelles sont les implications plus larges de ton travail pour l’Afrique ?
Dr Teguo Daniel Djoyum : Ce que j’ai observé au Ghana est tout à fait applicable dans d’autres contextes africains. Le Cameroun, par exemple, partage une forte spiritualité dans sa perception des maladies. Intégrer cette dimension dans la santé cérébrale, c’est redéfinir l’innovation pour qu’elle soit enracinée, inclusive et durable. Je rêve d’un futur où nos systèmes de santé africains reconnaissent la spiritualité non comme une menace, mais comme un levier de transformation.
CamerExcellence : Parlant du Cameroun, comment entendez-vous faire bénéficier de vos recherches et programmes les populations camerounaises ? Quels sont vos projets professionnels pour le Cameroun ?
Dr Teguo Daniel Djoyum : Le Cameroun est au cœur de ma vision. Je ressens une responsabilité profonde de faire bénéficier mon pays de mon expertise. Concrètement, je vais collaborer avec l’Université protestante d’Afrique centrale, notamment au sein de leur école de santé publique, pour y intégrer mes travaux sur la santé cérébrale, la spiritualité et l’innovation communautaire.
Je suis également en discussion avec plusieurs neurologues camerounais de haut niveau. C’est le cas avec le professeur Alfred Njamnshi, les Drs Ngarka Leonard, Danny Gams et Mélanie Magnerou Anique. Ceci afin de lancer un projet pilote sur l’intégration de services de neurodiagnostic et de soutien psycho-spirituel.
Ensemble, nous souhaitons renforcer l’accès au diagnostic de l’épilepsie, briser la stigmatisation et construire une approche plus holistique de la santé mentale et neurologique au Cameroun. Ce n’est que le début d’un engagement à long terme, enraciné dans l’excellence scientifique et le service à la communauté.
Propos recueillis par Beaugas Orain DJOYUM
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