Yannick Noah : “Les 2h25 les plus terribles de ma vie”

Yannick Noah : « Les 2h25 les plus terribles de ma vie »

9 Juin 2021 | SPORT | 0 commentaires

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Après l’élimination de tous les Français à Roland-Garros, retour sur la victoire de Yannick Noah en 1983… Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.

Cela fait bientôt 40 ans qu’aucun tennisman ou woman français n’a remporté les internationaux de France. Après la défaite de Richard Gasquet face à Rafael Nadal la semaine passée, plus aucun joueur français n’est en lice, ni dans le tableau masculin, ni dans le tableau féminin à Roland Garros au troisième tour. Le pire résultat du tennis tricolore de l’ère Open. Déjà, la présence côté masculin de seulement trois Français au deuxième tour était un plus bas historique depuis 1968…

À lire : À Roland-Garros, déjà plus aucun Français en lice

Pour réconforter les amoureux de la terre battue, retour sur le dernier succès français Porte d’Auteuil : celui de Yannick Noah en 1983. Au lendemain de sa victoire, le champion avait raconté en exclusivité à Paris Match les 2h25 les plus terribles de sa vie…

Voici le récit de Yannick Noah, tel que publié dans Paris Match en 1983.

https://www.parismatch.com/Actu/Sport/%C2%AB%20%E2%80%9CJ'ai vu un gars tomber des tribunes, raconte Yannick. Je me suis dit: ‘Qu'est ce qu'il lui arrive à ce type, il n'est pas bien ?’. Puis j'ai reconnu mon père.” Zacharie Noah, quarante-six ans, ancien footballeur camerounais de l'équipe de Sedan, a plongé sur son fils comme un goal sur le ballon. Ils s'étreignent en pleurant. Yannick sait tout ce qu'il doit à “Zac” qui lui a découpé dans une planche sa première raquette. C'était à Yaoundé, où Zac était rentré en 1962, après un grave accident de football. Au tennis, l'enfant montrait des dons si surprenants que le champion noir américain Arthur Ashe, en tournée, le signala à la Fédération française. Yannick allait tout sacrifier pour devenir le numéro un. » - Paris Match n°1777, 17 juin 1983
“J’ai vu un gars tomber des tribunes, raconte Yannick. Je me suis dit: ‘Qu’est ce qu’il lui arrive à ce type, il n’est pas bien ?’. Puis j’ai reconnu mon père.” Zacharie Noah, quarante-six ans, ancien footballeur camerounais de l’équipe de Sedan, a plongé sur son fils comme un goal sur le ballon. Ils s’étreignent en pleurant. Yannick sait tout ce qu’il doit à “Zac” qui lui a découpé dans une planche sa première raquette. C’était à Yaoundé, où Zac était rentré en 1962, après un grave accident de football. Au tennis, l’enfant montrait des dons si surprenants que le champion noir américain Arthur Ashe, en tournée, le signala à la Fédération française. Yannick allait tout sacrifier pour devenir le numéro un. » –
Paris Match n°1777, 17 juin 1983 Patrick Jarnoux / Paris Match

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Paris Match n°1777, 17 juin 1983

« Ma victoire », par Yannick Noah

Il raconte en exclusivité à Paris Match les 2h25 les plus terribles de sa vie.

Yannick Noah en couverture du Paris Match n°1777, daté du 17 juin 1983.
Yannick Noah en couverture du Paris Match n°1777, daté du 17 juin 1983. © Paris Match

Depuis combien de temps le match a-t-il commencé ? Aucune idée… Je ne sais pas. Je m’en fous d’ailleurs. II vient de me renvoyer une balle terrible… J’ai rien vu… Pas bougé… Ça m’est passé au-dessus de la tête… Le lob parfait… 6-3 pour moi au tie-break, troisième set. Celle-là, parole, je vais la frapper comme un âne Je vais tout mettre dedans, tout, tout, tu m’entends Patrice (Hagelauer), tu vas voir, Papa. Je vais lui filer sur son coup droit et il aimera pas. Je le sais d’avance…

Allez, Yann ! C’est la dernière. Réfléchis plus. Service-volée, y’a que ça de vrai. C’est le dernier point… Ce serait trop bête… Sur son coup droit, tape sur son coup droit… Voilà, c’est parti et c’est. . gagné ! Maintenant, j’en suis sûr. Je ne rêve plus Quand la balle est sortie de sa raquette, au Suédois, elle était déjà « out ». Alors, je me retourne et je tombe à genoux. Et je me relève et je l’aperçois, lui, là-bas, le fou, qui escalade la rambarde et qui se plante et qui finit quand même debout. Papa…

Quinze ans qu’il attendait ça. Qu’on n’attendait que ça, tous les deux. Tout à l’heure, ce matin, c’est lui qui m’a réveillé. Les autres jours, quand il entrait dans ma chambre, au premier étage de la propriété que j’ai achetée à Nainville-les-Roches, j’avais toujours l’oeil ouvert. Je dormais mal. Trois, quatre, cinq heures tout au plus.

Mais ce matin, il a fallu qu’il me secoue. Comme on le fait pour un gosse. Il y a longtemps que cela ne nous était pas arrivé. « Allez. Yann, il est neuf heures » A ce moment-la, je suis loin, très loin du match. Pas lui, je le vois. II a déjà les nerfs, mais ne me dit pas un mot sur Wilander, ni sur personne… Si, pardon, il finit par m’avouer que Moulinot, mon pote de toujours, et lui sont réveillés depuis six heures moins le quart et que, depuis, ils tournent en rond dans le salon, en bas. II fait déjà beau et chaud. Je me prépare des œufs et un café. Moulinot, qui est un drôle, joue au con pour lui-même. II en rajoute. Ça ne prend pas. J’avale beaucoup de pastilles de sel, de vitamines et je me mets un disque sur la platine.

Dix heures : je sors la Mercedes blanche. Mon père, qui m’a accompagné jusqu’à la porte, n’en peut plus. “Plus qu’un match, Yann, bats-toi ! J’ai envie de rire. Cela a été plus fort que lui. Je lui réponds « T’en fais pas je vais gagner ». Au fond de moi, je ressens une force incroyable, mais je n’imagine pas encore le match…Comment dire ? Je suis persuadé de gagner. Contre qui ? Aucune importance…

Arrivé au Racing, Patrice (Hagelauer), mon entraineur, me fait travailler les services pendant une demi-heure. Ça ne tourne pas comme je le voudrais. Je gueule. Je m’engueule. La douche me calme. Je partage le déjeuner avec quelques copains, Christiani, Grach, Phitoussi. Au menu : steak haché, riz, fromage, fruits, compote…

Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983.
Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983. © Patrick Jarnoux / Paris Match
Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983.
Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983. © Patrick Jarnoux / Paris Match

“Quand j’entre sur le court, je suis ailleurs…”

II est douze heures trente quand je quitte le restaurant du Racing, direction boulevard Suchet où habite Phitoussi. II a mis une chambre à ma disposition Je m’allonge et je tue le temps en parcourant le journal et en regardant une vidéo-musique. Mais je ne suis pas concentré ou alors je le suis trop…

Je pense, pour la première fois de la journée, à Wilander. Je le vois et le revois, brandissant sa coupe. L’image me fiche le frisson… Elle date d’un an, la photo. Tous les journaux l’ont publiée. Au début, je me mettais à la place de Wilander. Puis j’ai fini par ne plus oser regarder… Ne rêve pas, Noah, ne rêve pas…

Vestiaires. Avec les copains, nous sommes rentrés à Roland-Garros par une porte dérobée. Maintenant, je suis tout seul et plutôt cool. Je classe, numérote mes raquettes selon leurs cordages ; certains sont tendus, d’autres un peu moins. Je choisis ma tenue. J’avais décidé de jouer en rouge. Finalement, je préfère la tenue claire, comme ça… la chaleur, peut-être… Je couds les badges sur la chemise. J’opte pour des chaussures ayant déjà « joué » et m’enserre quelques doigts de sparadrap. C’est un exercice bien plus délicat qu’il n’y paraît. II faut, en effet, pouvoir plier le doigt sans la moindre gêne. Pas évident, d’autant que ma tension commence à monter… J’arrête pas d’aller et de revenir des toilettes… Dix fois peut-être…

Enfin, Patrice arrive. II me regarde. II a les mots qu’il faut. Ceux que j’attendais : « Tu va gagner. Et tu vas gagner parce que tu es le plus fort… Concentre- toi sur ton jeu. Tu n’as aucune raison d’être nerveux ».

Sa visite m’a fait un bien énorme. C’est vrai, je commençais vraiment à gamberger, à douter, à me demander si j’avais assez dormi, assez bouffé, assez avalé de sel… ! C’est fou ce qu’il a pu me redonner confiance avec ces petits mots.

Reste qu’il y a encore dix minutes à attendre. Un siècle. Je consulte ma montre comme si j’avais peur qu’elle s’arrête. J’entends la voix de Jacques Dorfman, le juge-arbitre. Ça y est : il nous appelle, Wilander et moi.

Nous voici côte à côte. On ne se regarde pas. On ne se voit pas. Wilander me passe devant… Quand j’entre sur le court, je suis ailleurs… Je n’entends rien. Mon oeil n’accroche rien d’autre que les talons de Wilander. Je veux que ce match soit une explosion, je ne veux pas d’un match en cinq sets. Je veux que ça aille à fond la caisse, tout de suite, je suis prêt à tout donner, je suis prêt à mourir sur le court… Soleil ou pas soleil, vent ou pas vent, bruit ou pas bruit, je veux gagner, je vais gagner… II faut gagner !… Je n’ai rien d’autre en tête.

Pendant l’échauffement, je renvoie les balles mécaniquement. Puis, c’est le premier jeu, un peu bizarre. Je fais un bois sur la deuxième balle. Celle-ci monte très haut et va se perdre dans les tribunes. Mais je ne suis pas inquiet. Je me dis que j’aurai le temps de me régler. Wilander, ce n’est pas un joueur qui bouscule, qui dérange, au contraire…

Break au cinquième jeu et j’aligne trois jeux d’affilée. Le premier- set a duré trente-six minutes, 6-2. Yann, tu vas gagner… Ma tactique fonctionne comme prévu. Je tiens bien le court, je joue des balles liftées, hautes, et je peux avancer de deux à trois mètres dans le court. Bien sûr, je perds des points mais ce n’est pas grave.

Je me dis : « Dès que tu te décideras, tu gagneras. » D’ailleurs, tous les points importants, je les gagne sur son coup droit. Ce qui ne m’empêche pas de monter sur son revers pour le décaler sur son côté gauche et l’empêcher de se régler. J’évite, en tout cas, de le regarder.

Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983.
Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983. © Patrick Jarnoux / Paris Match
« Et maintenant, à chaque faute de Wilander, je gueule, c'est plus fort que moi » - Paris Match n°1777, 17 juin 1983
« Et maintenant, à chaque faute de Wilander, je gueule, c’est plus fort que moi » – Paris Match n°1777, 17 juin 1983 © Patrick Jarnoux / Paris Match

Comme un film au ralenti

II ne faut pas donner le moindre signe de déconcentration. II faut essayer de faire passer le moins de sentiment, de faiblesses possibles… Donc, pas un geste d’énervement. Excite-toi, oui, si tu veux, sur le point gagné, mais pas quand tu perds. Parfois, dans le jeu, sur une balle anodine, on manque d’agressivité. Alors, engueule-toi, reconcentre-toi, recharge-toi, reconditionne-toi pour le point d’après. Ne laisse rien filer, tout est bon à prendre.

Deuxième set. II fait très chaud. Je suis à ma deuxième bouteille d’eau et j’en ai marre. L’eau, c’est bien, mais on l’élimine très vite et on la transpire tout de suite. Du coup, pour varier les plaisirs, j’avale des boissons sucrées et je me masse les jambes à grands coups de friction de Foucault. Ça commence à tirer. Je suis moins frais, je volleye plus difficilement et comme Wilander se met à jouer plus long, j’ai tout intérêt à conclure ce set en ma faveur.

Je mène 6 à 5 et maintenant, à chaque faute de Wilander, je gueule, c’est plus fort que moi.

Voilà, c’est fait : 7-5. Ce deuxième set était le plus important. Je ne me dis pas qu’à deux sets à zéro, c’est fini, non. Mais je me persuade que c’est presque gagné.

De fait, même fatigué, je joue le troisième set plus décontracté, sans gamberger, en pensant au match, simplement au match. Mais je me refuse à croire : « Tu vas gagner Roland- Garros ».

Je rate des balles que je réussissais au début. Mais je ne m’affole pas. Pourtant, mes jambes sont de plus en plus lourdes. Cela se ressent au niveau des démarrages et des sauts surtout, et cela fait mal.

« Wilander c’est un gars bien, froid et correct »

Mais je me répète : « Va à la fin du set, en tâchant de t’économiser un peu. Et dans le dernier jeu, tu mettras la gomme. Avec la pression de fin de match, tes coups finiront par passer ».

Quand je fais le break à 6-5, je décide que je vais servir pour le dernier jeu de la partie. Mais Wilander me sort trois retours fantastiques dans les pieds !

Tout de suite, j ai pensé que c’était un sursaut de sa part. En compétition, quand on est le dos au mur, on lâche plus facilement ses coups.

Au tie-break, je gagne le premier point. Puis il égalise sur une balle extraordinaire. Enfin, je m’arrache : 5 points à 2. A ce moment-là, je hurle : « Deux points ! ». Mais je ne veux pas croire encore à la victoire. J’attends de mener 6 à 2. Là. Oui… Et je me moque de son lob lifté qui ramène la marque à 6-3. J’ai deux points à suivre. Je regarde Patrice, là-bas. De l’autre côté, dans la loge, pour la première fois depuis le début du match. II me fait signe : service-volée. II a raison… Je vais jouer mon point fort sur le point faible de mon adversaire.

Après ? C’est le dernier coup. La balle fatale de Wilander. Je la sais « faute ». Mais je tiens à la voir jusqu’au bout, tombée derrière la ligne de fond. Je ne peux m’empêcher de la suivre des yeux. C’est pourquoi je me retourne, c’est comme un film au ralenti… Je veux tout savourer, tout. J’ai trop espéré cette seconde… dans mes rêves de môme, je lançais ma raquette en l’air, en signe de victoire. Je ne m’imaginais pas tomber à genoux, comme j’ai fait, sans chercher à imiter Borg ou un autre…

Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983.
Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983. © Patrick Jarnoux / Paris Match

Papa, on a gagné!

Je n’avais jamais ressenti une émotion pareille. Jamais aussi fort. Tout chavire maintenant. Je ne réalise pas. Les nerfs lâchent. Il y a plein de fumée. Quand je me relève et que je me retourne, je les cherche, mon père, ma mère, tous ceux de ma famille… Je pense aussi très fort à Patrick. C’est à cet instant que Papa saute. J’ai peur qu’il se fasse mal… Mais plus rien, ni personne ne l’arrête… II fonce sur moi, bras ouverts… C’est alors que j’aperçois Wilander, de l’autre côté du filet. Pour lui. je dois me ressaisir, essayer de contrôler ma joie le plus possible. Wilander est un champion, un vrai, qui mérite le respect. Je l’aime bien. « Well done » (« Bien joué ») me dit-il en me serrant la main. Je lui dis merci… Merci du fond du coeur… Wilander, c’est un gars bien, froid mais correct. Vachement timide et hypersensible. On se ressemble quelque part, je crois… Rien à voir avec Lendl… An ! Celui-là, quel monstre ! J’aime pas du tout, mais alors pas du tout ! Millionnaire en dollars, il ne prend jamais le temps de sourire. Pas vrai, un mec comme ça ! Il ne sert pas l’image des champions de tennis… Tout ça pour dire que lorsque je bats Lendl. Ça me fait plutôt plaisir.

« Papa, on a gagné ! » C’est tout ce que j’ai trouvé à dire à mon père lorsque je me suis retrouvé dans ses bras. Et lui, pas un mot. Impossible… Bloqué, Papa. Mais on en reparlera plus tard, toute notre vie…

Après ? Je ne sais plus bien. Tout s’enchaîne très vite. On m’agrippe. Je manque d’air. Je gueule un bon coup. Et je craque sur ma chaise… J’en peux plus. Je suis déjà sur un nuage lorsque je monte à la tribune présidentielle. Je reçois la coupe des mains de Marcel Bernard, le dernier joueur français vainqueur à Roland-Garros. C’était en 1946. Avant lui, bien avant lui, il y avait eu les Mousquetaires. Ils sont là, Borotra et Lacoste. Ils me disent plein de mots gentils. Comme tout à l’heure, les petits ramasseurs de balles que je connais depuis longtemps et qui, tous ou presque, ont un poignet qui m’a appartenu.

Le président Chatrier insiste pour que je parle en public… Mais que dire ? Que je suis heureux ? Que c’est le plus beau jour de ma vie ? Mais qui pourrait en douter ? Je croise le regard de Wilander. II est vide…

Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983.
Yannick Noah en finale de Roland-Garros, le 5 juin 1983. © Patrick Jarnoux / Paris Match
Yannick Noah, vainqueur de Roland-Garros, le 5 juin 1983.
Yannick Noah, vainqueur de Roland-Garros, le 5 juin 1983. © Patrick Jarnoux / Paris Match

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